La gauche arabe en conclave à Tunis… Pour quoi faire ?

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La lutte contre l’islamisme ne peut être que globale

 

Par Léon KÉMAL

L'édition arabe du journal Le Monde diplomatique retourne à Tunis... « Tout ça pour...? »

L'édition arabe du journal Le Monde diplomatique retourne à Tunis... « Tout ça pour...? »

La rencontre d’une dizaine de partis de gauche du Maghreb et du Machrek, qui s’est déroulée du 27 au 29 mai dernier à Tunis, sous la bannière du journal Le Monde diplomatique version arabe et de la Fondation Rosa Luxembourg, est finalement passée presque inaperçue. D’abord, pendant toute la durée de l’événement, pas la moindre information n’a filtré, histoire de rendre compte un peu de l’atmosphère des échanges, voire – pourquoi pas ? – de leur contenu. Et trois semaines plus tard, on en est encore à guetter la publication de quelque chose qui ressemblerait à une déclaration politique, dont le projet avait pourtant été annoncé avant la fin du conclave. Dit autrement, l’affaire a tout l’air de tourner en eau de boudin, et sans doute fallait-il s’y attendre.

Ces « retrouvailles » – les guillemets ici n’étant pas superflues, loin s’en faut – n’étaient pas, comme on l’aurait souhaité, l’aboutissement d’une réelle dynamique de pratiques et de réflexions, impliquant l’ensemble des formations concernées. En clair, l’organisation de cette rencontre n’était pas le fait de ces formations, mais plutôt une idée des dirigeants et animateurs de la célèbre publication. L’initiative avait été prise, en effet, par ces dirigeants pour marquer le retour à Tunis, « sa terre d’origine », de l’édition arabe du périodique, après une absence de près d’une vingtaine d’années et un détour par Beyrouth et Paris.

Bref, ce n’était là rien moins donc qu’un événement de circonstance, tenant du strict cérémonial de la communication propre au média lui-même, plutôt que d’une démarche autonome et volontariste des partis en question.

Certes, sachant l’orientation éditoriale de la prestigieuse et très respectable publication réputée « progressiste », s’il y a un lectorat potentiel sur lequel ses dirigeants vont devoir compter, il ne pourrait exister, d’abord et avant tout, que dans les milieux de gauche… Ceci étant admis et parfaitement compréhensible, le hic est que les organisateurs de la rencontre n’y sont pas allés franco.

Au lieu de présenter l’événement pour ce qu’il était en réalité, les premiers articles l’annonçant laissaient à penser qu’on allait enfin assister, à peu de chose près, à une sorte de tournant capital dans l’histoire de la gauche au sein du monde arabe. Et comment ne pas être feinté de la sorte quand il est claironné pompeusement, en guise de thème général de cette rencontre : « 5 ans après le printemps 2011, défis, tâches et stratégies des moyens des gauches arabes » ?… Comme si les millions de gens que comptent les secteurs progressistes au sein des peuples concernés n’étaient pas déjà assez déçus comme ça, à force de désillusions, de tromperies et de questionnements sans réponses quant à l’avenir de leurs pays et au rôle de leurs supposées élites politiques et intellectuelles…

Pour dire les choses franchement, il eut été plus honnête, et peut-être même plus efficace et plus productif, de réunir quelques figures représentatives de ces milieux de gauche pour annoncer le retour du journal à Tunis, et faire de cette occasion, aussi brève soit-elle, un moment d’échanges sur leurs attentes par rapport au traitement des réalités du monde dit « arabo-musulman » par les médias étrangers.

Quant à voir se tenir un jour un vrai forum réunissant les partis progressistes du Maghreb et du Machrek à partir d’une initiative prise par ces partis au terme d’une concertation collective, en vue d’arrêter une stratégie commune de résistance et de lutte face à l’hydre islamiste, c’est une autre affaire…

Pourtant, il n’est pas exagéré de dire qu’une telle rencontre, dont l’organisation et la tenue pouvaient paraître difficiles, sinon périlleuses, du temps des dictatures à la soviétique ou tenant du capitalisme sauvage – une époque où il ne me semble pas avoir entendu parler d’un événement pareil –, serait aujourd’hui non seulement possible, mais relativement aisée à envisager et, qui plus est, nécessaire à plus d’un titre.

1/ Bien plus que dans les pays occidentaux, et pour des raisons évidentes, c’est la gauche qui, au Maghreb et au Machrek, est censée incarner le mieux le combat pour la laïcité, condition sine qua non du vivre ensemble et de développement social et culturel dans chacune des sociétés concernées.

2/ L’islamisme étant partout le même tant dans ses fondements idéologiques que ses stratégies de conquête du pouvoir, il incombe aux forces politiques laïques (dont les partis de gauche), la tâche de lui opposer un front uni de lutte qui soit cohérent dans son discours et ses pratiques et à la fois le plus visible possible.

3/ L’état de chaos et de divisions multiformes et autres animosités imbéciles et ruineuses dans lequel sombre le monde dit « arabo-musulman » n’est pas seulement le fait de l’islamisme. Loin de toute espèce de posture victimaire bête et facile, on ne rappellera jamais assez que cet état-là est aussi la conséquence de la domination impérialiste de l’Occident qui a très tôt perçu, dans la culture même et la religion des peuples de cette région, l’existence latente de ce phénomène, pour l’amplifier à l’extrême, à des fins qui ne font plus mystère aujourd’hui. Les premiers moudjahidines afghans et le mouvement obscurantiste des Talibans, matrices originelles de l’innommable horreur « djihadiste » actuelle qui pourrit le monde, sont bien des créations, au sens propre du terme, des services étasuniens et britanniques.

Et comme ce ne sont sûrement pas les régimes en place qu’on verrait un jour travailler au rapprochement entre les peuples de la région, trop intéressés qu’ils sont à jouer sur les nationalismes, quand ils ne sont pas tout simplement complices ou otages de leurs partenaires occidentaux, c’est bien aux partis dits « progressistes » qu’il incombe cette tâche. Une tâche sur le long terme, dont il faut bien dire clairement, au lieu d’avoir peur des mots, qu’elle est de l’ordre de la responsabilité historique, et qu’elle requiert, chez ces formations bien plus que toutes les autres, des échanges et des pratiques unitaires continues, qui soient menés au grand jour. Faute de quoi, l’islamisme, dont les dégâts au plan culturel et dans la conscience politique du plus grand nombre sont déjà énormes, finira par avoir raison des dernières lueurs d’espoir.

Pour en revenir  au conclave des partis de gauche tenu fin mai à Tunis, ces quelques considérations, qu’il fallait rappeler ici, rendent assez dérisoire, sinon déplacé et malvenu, qu’on puisse organiser une opération commerciale sur une idée essentielle, qui, du point de vue du long terme, a tout d’une question de vie ou de mort pour ces partis. Celle de leur refondation – oui, on a bien lu : REFONDATION – dans le cadre d’un mouvement qui ne peut être que global, comme le sont l’hydre islamiste et les stratégies dominatrices du système capitaliste mondial, sous peine de voir ces partis se déliter comme structures organiques et voir ensuite disparaître, dans les sociétés concernées, jusqu’au souvenir même des idéaux de paix et de générosité qu’ils sont censés véhiculer.

Quant à savoir quelle pourrait être, plus particulièrement au niveau du discours et de la clarification des enjeux politiques, la solidarité militante des démocrates et progressistes dans les pays « développés » avec leurs collègues dans le monde dit « arabo-musulman », c’est là une question qui reste entière… Tant il existe, dans les milieux politico-médiatiques, en France surtout, des voix foncièrement sympathiques et dont, néanmoins, on serait tenté de dire que la meilleure façon pour elles d’aider en quoi que ce soit serait encore qu’elles la mettent en sourdine…

L.K.

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